Universités : le besoin de clarifier

Publié le par Ben

Mes très chers lecteurs,

 

Voici maintenant plusieurs semaines que le personnel universitaire et une partie des étudiants manifestent leur mécontentement à l’égard de la réforme des universités. Pour autant, les médias ne semblent pas fournir un effort de pédagogie suffisant pour permettre à l’opinion de bien comprendre les enjeux qui tournent autour de ce décret. Je vous propose donc d’aborder le sujet en six points clairs, en espérant répondre à vos interrogations : à quoi avons-nous affaire ? Cet article est, je sais, assez long, mais les divisions sont visibles pour vous permettre de vous concentrer sur ce que vous préférez ! J’estime – à tort, peut-être – que le sujet mérite le temps que je vous y consacre aujourd’hui.

 

Bien comprendre : un décret d’application de la LRU

D’abord, il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’une loi Pécresse, mais bien du décret d’application (c’est-à-dire des directives que le gouvernement envoie à l’administration, en gros) de la loi LRU votée l’année dernière (je vous invite à retourner voir mon article, à l’époque, optimiste, sur le sujet : http://voix-de-grenoble.over-blog.net/article-14408855.html ).

 

De l’autonomie des universités à la dépendance

On peut toutefois considérer que ce décret d’application peut remettre en cause le principe défendu ou présenté comme tel dans la loi, affirmant que les universités devaient devenir autonomes, apprendre à se gérer par elles-mêmes. Cela passait, il est vrai, par un certain renforcement des pouvoirs du président. Toutefois, ce décret va beaucoup plus loin : il détruit le CNRS et crée, en remplacement, l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) dont le principe est simple : alors qu’un chercheur à l’époque du CNRS pouvait effectuer des recherches sur la libido des scarabées en Amazonie sans espérer d’utilité économique ou de retombées, cette ANR fonctionnera principalement sur la base de mandats pour des entreprises privées, pour lesquelles elle devra obtenir des résultats. Il est certes intéressant d’introduire cet aspect des choses, mais cela pose tout de même la question de l’indépendance de notre recherche (cf. la question sur la nocivité des téléphones portables) mais aussi de nos universités (si elles sont financées par une entreprise télécom, par exemple, ont-elles les moyens de publier des résultats prouvant la nocivité des mobiles ?!). On a donc une autonomie de l’Etat, mais qui fait craindre l’apparition d’une dépendance à des grands intérêts financiers.

 

Une nouvelle vision générale de l’enseignement

Secondement, il semble important de souligner le contexte dans lequel cette réforme s’inscrit. Elle s’inscrit d’abord dans le cadre de la « Révision Générale des Politiques Publiques », notion inspirée des modèles anglo-saxons et visant à refonder les services publics afin d’en réduire les coûts le plus possible. Cela se traduit par une réduction des fonds, et l’application de méthodes managériales issues du privé. Mais ce n’est pas pour rien que la CFDT parle de « Réduction générale des politiques publiques », car les budgets publics dans l’éducation, en tenant compte de l’inflation, diminuent de plus en plus depuis une dizaine d’années. D’où l’intention du gouvernement de les compenser par les fonds privés, avec les polémiques que je viens de vous décrire.

Un autre élément du contexte est celui de la réforme du lycée. Cette réforme s’inspire du modèle scandinave, dont on vante tant les mérites en France, mais dont le principe de base reste la socialisation des élèves, davantage que la transmission d’éléments théoriques importants. En Finlande, on peut par exemple passer 2 ans au lycée à faire de la photographie… Je me demande quelle serait la viabilité d’un tel système en France, où nos entrepreneurs se réfèrent encore beaucoup, énormément même, au contenu de notre diplôme scolaire et universitaire… En fait, la crainte qui émerge avec force en ce moment, est celle d’un lycée unique sur le modèle actuel de notre collège (dont on connaît l’efficacité !!!!), « socialisant », suivi d’une université à deux vitesses entre premier cycle (enseignement) et second cycle (recherche), à laquelle on adossera un système de sélection pour commencer la faiblesse du lycée…

 

Un modèle financier américain ?

Les accusations fusent parmi les manifestants contre ce projet dont on insulte le caractère américain. Je tiens à m’opposer à cet argument. S’il est vrai que le pouvoir a tendance à croire que tout ce qui est Américain et moderne, à tort, les gauchistes français eux, estiment bien trop souvent que tout ce qui est Américain est mauvais. L’autonomie est, certes, un principe aux USA : « L’autonomie c’est la règle pour tous les pays où ‘y a des universités qui s’développent. » nous rappelle si bien l’Empereur dans son discours du 22 Janvier sur la recherche. Toutefois, les universités américaines ont un mode de financement qui diverge réellement de ce que le gouvernement nous prépare. Aux USA, les universités sont financées grâce aux recherches qu’elles effectuent pour l’Etat, ainsi que pour le privé, mais cette dernière dimension est assez minime. Leur principale source de revenu, ce sont les dons des anciens élèves. Il s’agit donc de ne pas assimiler les universités américaines, qui certes, sont des institutions privées, à des universités financées par le privé ! En ce sens, une personnalité du PS (je ne sais plus qui !) a fait une proposition pour chaque étudiant ne paie ses droits d’inscription que par mensualités, après sa scolarité, une fois qu’il a trouvé du travail. Cela me semble plus constructif, et permettrait d’augmenter les contributions….

 

Un modèle managérial américain ?

Ensuite, le modèle managérial diffère, lui aussi, du modèle américain.

-         Modèle américain : les présidents ont énormément de pouvoirs de gestion (construction de ses propres locaux, gestion du personnel administratif, etc.). Ils ne sont en général pas issus du personnel universitaire, mais plutôt du privé. Ils sont contrôlés et élus par le Conseil d’Administration, qui peut aussi à tout moment les révoquer. Ils n’ont pas de compétence en matière de nomination des enseignants : ce domaine est réservé à des comités d’enseignants, collégiaux.

-         Modèle français en projet : Le président d’université a beaucoup de pouvoirs, ici aussi, mais y compris en matière de personnel de recherche et d’enseignement. Ils sont en général issus du personnel de l’université.

Ce qui fait craindre plusieurs choses. D’abord, que comme les présidents sont issus du personnel, il y ait des risques de clientélisme fort. La communauté universitaire, il faut le savoir, est toujours divisée par des querelles internes, personnelles, peut voyantes mais bien réelles. Alors même que le président va obtenir les pleins pouvoirs ou presque, est-il normal que personne ne puisse s’opposer à sa volonté ?

Deuxièmement, quelle est sa compétence pour nommer les professeurs ?! N’est-il pas plus intelligent que cela soit réalisé par les responsables de la discipline, les premiers concernés ?!

Troisièmement, l’idée de donner toute autorité au président afin de répartir les heures de son personnel dans le quota recherche / enseignement, fait craindre l’apparition d’une séparation entre l’une et l’autre, cassant le cercle vertueux qui s’opérait entre les deux sphères, et sur lequel De Gaulle lui-même avait longtemps lourdement insisté. Qui plus est, est-il réellement possible pour quelqu’un qui a fait pendant une longue période que de la recherche, de revenir à l’enseignement ?

 

Le décret comporte aussi une polémique sur l’évaluation des enseignants chercheurs. A titre personnel, je pense que l’idée est plutôt bonne en elle-même. Elle devient problématique quand on la relie avec les pouvoirs démesurés du président de l’université. Clairement, cela correspond à une vision ultra-sarkozyste du management, avec un chef plénipotentiaire guidant fermement la masse derrière lui… Reste à savoir si cette idée colle avec l’esprit de nos universitaires, ce dont je doute…

 

Ben

 

PS : Ce dossier est loin d’être complet, et possède peut-être des insuffisances / erreurs. Si mes chers lecteurs les entrevoient, qu’ils interviennent, car je ne demande qu’à mieux comprendre, au vu de la difficulté du sujet. Je vous place ci-dessous une vidéo du discours du 22 janvier du chef de l’Etat, qui a fait scandale au sein de la communauté universitaire. Beaucoup se sont sentis insultés. La vidéo présentée ici a été réalisée par une chercheuse au CNRS ; les deux dernières minutes sont sans doute les plus édifiantes.

Par pure honnêteté intellectuelle de principe, voici le lien vers la vidéo complète et officielle du discours : http://www.elysee.fr/webtv/index.php?intHomeMinisterId=0&intChannelId=8.

Publié dans Société

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