Démocratie de fait, Démocratie de droit

Publié le par Ben

Mes chers amis estivaux,

 

Je repensais hier soir à mon précédent article (qui date d’il y a une semaine !) et à l’illustration – provocante plus que choquante – que j’avais plaquée en plein milieu de mes paragraphes. Je suis pris d’une obsession, qui est celle de savoir quelle est la différence, au-delà du vote libre, entre une dictature et une démocratie. En fait, pour être plus précis, je me demandais hier, faute de sommeil, s’il existait de « fausses démocraties », sans en avoir l’air pour autant. (Il ne faut pas les confondre avec les « vraies fausses démocraties », à l’instar de la Chine et de sa République Populaire.)

 

Prenons un exemple.

 

Imaginons une République, dont le chef de l’Etat est élu librement, et régulièrement, contre d’autres concurrents. Bref, imaginons le régime politique qui rassemble les conditions habituellement considérées comme suffisantes pour être qualifié de démocratie. Ce régime décide, afin de maintenir l’ordre public et la sécurité collective, de ficher ses citoyens selon des critères extrêmement… « délicats » : origine ethnique, couleur politique, choix de sexualité, etc.

Et de l’autre côté, imaginons une République en pleine dictature, dirigée par un despote éclairé (c'est-à-dire assez illuminé pour prendre tous les pouvoirs, mais pas au point de massacrer toute une partie de sa population !). Ce chef aussi, en observant son voisin, décide de créer des fichiers sensibles.

 

Y a-t-il une différence ?

 

(Prenez votre temps pour réfléchir.)

 

(Cessez d’attendre que je vous donne la réponse et pensez-y !!!).

 

D’abord, les démocrates les plus extrémistes répondront qu’en démocratie, il ne doit pas y avoir de fichiers. Mais à supposer que ces fiches soient vraiment nécessaires à l’ordre public, la différence fondamentale entre des institutions démocratiques et non-démocratiques se fera dans le contrôle de l’utilisation de ces dossiers. Ce contrôle est souvent effectué par le Parlement : plusieurs parlementaires d’opinions différentes sont envoyés par leurs collègues afin de surveiller le gouvernement. C’est lié à la notion de responsabilité dont j’ai déjà parlé plus bas.

A moins bien sûr que les institutions favorisent l’apparition systématique d’une majorité liée au gouvernement. Dans ce cas, les hommes politiques, conscients des limites de leur système politique, créeront une institution autonome capable de corriger les excès de l’exécutif.

A moins bien sûr que cette institution ait très peu de pouvoirs, et soit composée de membres nommés en grande partie par la majorité en place…

En pareil cas, on peut s’interroger, pour peu qu’un parti politique douteux arrive au pouvoir, quant à l’utilisation du fichage d’Etat. Ce n’est plus une démocratie, car le gouvernement n’est plus encadré. Seuls les médias peuvent, s’ils sont libres, créer un contre-pouvoir par l’opinion, influente mais pas toujours contraignante pour un gouvernement (surtout en été !).

 

Et ce régime politique, mes amis, c’est la France, « pays des droits de l’homme ».

 

C’est la France et son « Fichier EDVIGE », qui institue le fichage systématique et généralisé, dès l’âge de 13 ans, des délinquants hypothétiques et des militants syndicaux, politiques, associatifs et religieux. Très clairement : si vous adhérez à un parti, à un syndicat, à Médecins du Monde ou si vous allez régulièrement à la Mosquée, vous avez des chances d’y être. Plus encore : ce fichier contient aussi des informations sur votre « comportement » et sur vos choix sexuels. Le tout afin de « surveiller des mouvements, groupes ou organisations subversifs violents et des phénomènes de société précurseurs de menaces ».


La Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL), autorité indépendante chargée de surveiller le fichage en France, a émis de nombreuses réserves à propos de ce fichier, estimant qu’il va trop loin, et a exprimé son inquiétude. Mais son rôle s’arrête à celui de l’avertissement : elle ne peut empêcher le gouvernement d’agir.

 

Voilà sans doute un point sur lequel nous autres, si fiers de notre Révolution-vieille-de-deux-siècles-et-demie, et de notre « Déclaration de 1789», devrions réfléchir. Le MoDem est pour l’instant le seul parti politique à envisager des procédures juridiques contre ce nouveau fichier, le PS se contentant de se plaindre devant les journalistes.

Ce qu’il y a de plus dangereux pour une démocratie, ce n’est peut-être pas les crises sociales, économiques ou politiques. Ce n’est peut-être pas non plus de perdre une guerre. C’est sans doute d’oublier à quel point la démocratie est fragile, et à quel point il est toujours nécessaire de s’assurer du respect de l’Etat de Droit. Ce qui rend la démocratie solide, c’est la peur de la perdre. Car par trop d’assurance, on en laisse pourrir les racines.

 

Jamais, mes amis, jamais, la démocratie ne doit être un postulat, ne doit être une sorte d’évidence politique, quoiqu’en dise notre Histoire. Jamais nous ne devons compter sur les autres pour la défendre. Ce n’est peut-être pas ce à quoi vous pensez au-jour-le-jour, et pourtant : c’est par manque de vigilance qu’elles tombent.

 

Toutes.


 

Non au fichier EDVIGE : signez ici la pétition : http://nonaedvige.ras.eu.org/

Publié dans Société

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B
Cher Houhou,Merci de prendre la peine de commenter.Tout d'abord, je voudrais te rappeler qu'il m'arrive rarement, en particulier en vacances, d'écrire un article sans me renseigner. Il existe de nombreux fichiers en France, dont l'existence ne saurait être remise en cause.Le fichage est nécessaire, en particulier en ces heures troublées ou la lutte contre le terrorisme, quoiqu'invisible, est indispensable.En vérité, ces fichiers sont dans les mains de l'exécutif (aujourd'hui, la Direction Centrale du Renseignement Intérieur, née de la fusion entre la DST et les RG) pour des raisons d'ORDRE PUBLIC. Cela inclut plusieurs missions :<br /> prévention et lutte contre les ingérences et les menaces étrangères (Contre-espionnage), <br /> prévention et lutte contre le terrorisme et de tout acte « visant à porter atteinte à l'autorité de l'État, au secret de la défense nationale ou au patrimoine économique du pays », <br /> surveillance des communications et lutte contre le cybercrime, <br /> surveillance des mouvements, groupes ou organisations subversifs violents et des phénomènes de société précurseurs de menaces<br /> (source : wikipedia).La question n'est pas de savoir si le fichage est utile à ces missions : bien sûr que oui. Il y a plusieurs choses qui me révoltent.1. La présence de l'orientation sexuelle, qui sous-tend une discrimination.2. Le fichage dès 13 ans.Plus grave encore, ce FICHIER N'EST PAS CONTROLE. C'est cela que je dénonce. Le Parlement doit avoir un droit de regard pour éviter les utilisations abusives ou les erreurs.Tu donnes toi même l'exemple - sans incidence heureusement - affligeant de ce que peut donner une utilisation mauvaise ou erronée de ces renseignements. Le pays qui a inspiré la création de la DCRI, les USA et leur fameux FBI, ne fait pas exception à la règle : des commissions parlementaires surveillent la célèbre agence...
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H
je suis désolé mais avec le fichier Edvige, vous me faites rire. je n'ai pas signé la pétition parce que le fichage existe depuis des années. JE n'ai jamais entendu la moindre protestation.Personnellement, j'en ai fait les frais. En 1991, ayant reçu un avis négatif concernant une décision administrative dont je ne pouvais avoir les motifs sous peine d'avoir une sanction plus lourde, je m'étais renseigné grâce à des relations sur le motif de cette décision. L'ami qui avait une relation haut placée au sein des RG me donna la réponse le lendemain. il m'indiqua surpris que j'avais été catalogué dans 2 catégories considéeées par le pouvoir en place à l'époque : islamiste et extrême gauche.Et pourtant j'étais militant dans aucune de ces tendances.Alors oui, je suis étonné que certains feignent de découvrir le fichage.
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